C'est un matin de brume douce
Monde voilé de mousseline
C'est un matin qui prend son temps
Roule la nuit en son duvet
Le vent curieux s'en est allé
Vers des plaisirs dissimulés
C'est un matin où le désir
D'un mai fripon a la malice.
tantvaletemps
Une photo. Chaque matin, une photo prise au même endroit. Pour témoigner des modifications imperceptibles, inéluctables, du temps qui passe et du temps qu'il fait. Il y aura bien quelques jours ailleurs, voire quelques jours sans. Ainsi va le temps, dans cet espace de liberté qu'il laisse aux hommes, certain qu'il est d'avoir le dernier mot. Quelques mots. Pour dire les humeurs, les colères ou les plaisirs, le rythme des pensées qui ne se contraint pas à suivre le rythme des jours. (extrait de Jour 1)
Ce projet a duré "en temps réel", du 1er janvier au 31 décembre 2012. Les articles de 2013 sont des retours sur les jours ailleurs de 2012.
C'est un matin de brume douce
Monde voilé de mousseline
C'est un matin qui prend son temps
Roule la nuit en son duvet
Le vent curieux s'en est allé
Vers des plaisirs dissimulés
C'est un matin où le désir
D'un mai fripon a la malice.
Disparues les ombres. Les troncs se sont rhabillés de matité. Douceur de mai dans le crachin des jours. Je dérange un écureuil qui s'enfuit à mes bruits.
Comment ça va sur la terre ?
- Ça va ça va, ça va bien.
Les petits chiens sont-ils prospères?
- Mon Dieu oui merci bien.
- Et les prairies ?
- Ça patiente.
La bascule du temps. Depuis hier le soleil l'emporte sur les nuages. En quelques heures le fond de l'air s'est adouci, a poussé à retirer le pull. En ville, on s'était habitué à emprunter le trottoir abrité. Maintenant on choisit : celui du soleil, ou celui de l'ombre. Ici, la terre ne colle plus aux bottes. Il va vite falloir intervenir au jardin, avant qu'une carapace bien solide ne se forme sur la terre. On ne reporte plus les projets au jour où on pourra : c'est maintenant. Il faut affirmer sa présence, imposer sa volonté de jardinier. D'autant que l'embellie est annoncée éphémère. Alors le silence champêtre, ce n'est pas pour les jours à venir. Tondeuses et motoculteurs vont s'activer. Quand on revit, ça s'entend. Quand on sort d'un long tunnel gris ça s'agite dans un apparent désordre, qui cache à la fois le soulagement de voir s'éloigner le temps du repli sur soi, et la certitude que pour profiter de l'embellie, il faut être actif, et vigilant. Quand on sort d'un long tunnel gris. Et brun.
Fin (provisoire ?) de l'épisode bovin. De nouveaux horizons ont été attribués au troupeau, loin de l'objectif du photographe. La prairie va pouvoir se reconstituer. La température remonte, la terre est gorgée des pluies des dernières semaines qui ont délité les bouses en fumure naturelle. Toutes les conditions sont réunies pour une croissance rapide de l'herbage. Fauche ou seconde pâture ? Les semaines et les mois à venir nous éclaireront sur les projets du paysan. Agriculteur est un métier public : nous suivons en spectateurs ses stratégies, ses essais, ses réussites et ses échecs. Nous ne comprenons pas tout, nous n'approuvons pas toujours. Nous considérons le paysage comme notre patrimoine. Il est son gagne-pain. C'est dans la convergence de ces deux positions que se situe l'avenir du territoire.
Premier mai. Jour complexe.
Jour de mythologies ancestrales, dans lesquelles se mêlent vœux, amour, bonheur et clochettes. Ça oscile entre sincérité et mièvrerie, entre Saint-Valentin et premier de l'an.
Il est revenu le temps du muguet
Comme un vieil ami retrouvé
Il est revenu flâner le long des quais
Jusqu'au banc où je t'attendais
Et j'ai vu refleurir
L'éclat de ton sourire
Aujourd'hui plus beau que jamais
chantait Francis Lemarque
Jour de mythologie moderne, fête internationale des travailleurs, qui fait référence à la fois à la Révolution Française, au familistère de Godin et aux fusillades de 1891 à Fourmies. Jour inscrit dans l'histoire des classes polulaires en lutte, jour d'Internationale et de poing levé.Tenir un brin de muguet dans son poing levé n'est pas impossible. Premier mai : jour en rouge et blanc. Le bleu, il est en route, dans le ciel comme dans nos espoirs.
Tout va mal. Il pleut sans discontinuer depuis plus de 24h. Pas la moindre éclaircie dans le gris uniforme du ciel. Le vent s'est renforcé sans déchirer la chape nuageuse. Le troupeau a quitté le cadre de la photo. La prairie est un désert détrempé. On se demande s'il y aura pendant la journée suffisamment de lumière pour déclencher l'extinction de l'éclairage public. On hésite à sortir. On se renferme, on se referme. On broie du gris. Pourquoi les météorologues ont-ils décidé de nommer "dépression" les périodes de basse pression athmosphérique ?
Scène familiale. Le troupeau paissait sereinement, comme à son habitude. Du lointain le veau est arrivé en courant, s'est positionné près de sa mère, a saisi le pis, s'est concentré sur la tétée. Rien que de très naturel. C'est l'autre qui m'intrigue. Il a suivi, en retrait. Il s'est arrêté tout près, et il attend. De temps en temps il broute une touffe d'herbe, puis reprend son observation. Pourquoi ne cherche-t-il pas sa mère ? Qu'attend-il ? Qu'est-ce qui explique son manège ? Est-ce que les motivations animales suivent des logiques d'humains ? Qu'est-ce qui est de l'ordre de l'universel, de l'explicable, et qu'est-ce qui laisse la place au hasard, au fortuit, à l'irrationnel ?
Encore un matin de ciré jaune. Un matin de lumière sans ombres. Un matin de ciel uniformément plombé. Un matin à ne pas s'attarder, à poser bien vite la photo sur l'écran pour la commenter. Au fil des jours le cadre se densifie. Les feuilles s'épanouissent, l'espace du paysage est mangé par un hublot oblong de végétation. Dans quelques semaines le mouvement aura atteint son terme. Le feuillage laissera-t-il encore paraître des fragments de ciel ? Jusqu'où ira la densification des épines ? Comment la prairie résistera-t-elle au pâturage et au piétinement du troupeau ? Quand se fera la basule, le début de la contraction ? Ce blog se veut une modeste contribution à suivre l'ample palpitation annuelle de la nature.
L'occupation de l'espace prairial répond à des règles très strictes. À l'est se situe l'espace capitulaire. Tous les matins (notre photo), le troupeau s'y retrouve pour régler ses problèmes internes, discuter la qualité de la pâture, gérer les comportements individuels, morigéner les jeunes trop fougueux, prendre des sanctions pour punir les manquements à la règle. L'espace de restauration s'étend à tout le territoire, mais il se focalise vers le sud où sont déposés quotidiennement, sans doute par de zélés fidèles , différentes offrandes comestibles. L'ouest est le lieu de la rencontre avec le reste du monde. Un photographe vient régulièrement s'y poster qui est pour les occupants de la prairie sujet d'observation, et avec lequel sont testées diverses tentatives de communication. Le nord est l'espace consacré au divin. Un pigeon (à défaut d'une colombe), saisi ici en plein vol, en indique la direction. Être vache en bocage vendéen : une existence de bénédictin.
La pluie n'a pas interrompu leur occupation favoite. Pourtant le ciel est plombé et l'expresssion liant phénomène météorologique et miction bovine prend tout son sens. Elles ont dû, peut-être pendant la nuit, profiter de l'abri du buisson : la limite de la prairie en porte encore la trace toute fraîche. La tache jaune de mon ciré les a immobilisées un instant. Curiosité ? inquiétude ? Elles ont à peine relevé la tête et repris leur broutement. Ce matin, nous ne ferons pas la conversation. Mon petit déjeuner m'attend, moi aussi. À l'abri.