Enfin un matin de lumière. Les anciens rappelleront que la lune rousse s'est achevée dimanche et que la voie est donc maintenant ouverte à l'été. Intense activité sur les collines. Les automobilistes vicinaux en savent quelque chose : les charrois de fumier laissent des traces. On va vite enfouir pour les semis à venir. Le foin a été emballé de plastique. Il y a quelques années le blanc et le noir dominaient, on est maintenant passé au vert. Avec les changements politiques, verra-t-on bientôt des bottes roses (rouges) ponctuer le paysage ? Et un land-artiste imaginera-t-il exercer son art sur ce support offert gratuitement au regard du public ? En ces contrées habitées par le passage de Gargantua, est-il décent d'exposer ainsi aux regards innocents ces amoncellements de préservatifs de géant, tout en faisant semblant de leur trouver une utilité agricole ?
Le débat du moment : rigueur ou croissance, ça lui dit quoi à la prairie ? Rigueur, elle subit, celle du froid, ou de la sécheresse. Toujours d'origine extérieure. Elle a su s'adapter. La sélection s'est faite naturellement. Les inadaptés se sont effacés. La solidarité se joue dans la régulation des haies, l'abri fourni par les espèces les plus vaillantes. Aux moments les plus difficiles, on se recroqueville, on végète et on survit. La croissance, on la vit dans la régularité du temps qui passe. Elle profite à tous dans le partage de l'espace. On ne la garde pas pour soi, on en fait profiter qui veut bien paître, faucher, cueillir. On a besoin de partager pour éviter l'étouffement, et croître à nouveau. Le débat du moment indiffère la prairie. Elle l'a dépassé depuis belle lurette. 
Le vent est tombé. la pluie prévue est arrivée. Mais toute douce, toute fine, toute discrète. Juste pour dire "Je ne fais que passer. Je ne veux pas déranger, juste imprégner la surface des terres, que le vent sec a trop durci, puis je laisserai la place à l'été. Promis juré." OK la pluie, mais n'insiste pas trop. Le barbecue trempé, le pique-nique avorté, la baignade annulée, ça indispose. En ces temps de promesses de changement on voudrait croire au dicton « À la Saint-Yves, le beau temps arrive. » Pas de chance, un autre lui fait concurrence : « Craignez le petit Yvonnet, c'est le pire de tous quand il s'y met. » (pourquoi ceux qu'il faut craindre seraient-ils identifiés comme "petits"?) C'est peut-être Bernardin qui tranchera. 
Hier on aprecevait encore trois taches blanches, triangulation animale noyée dans le végétal. Ce matin il n'en reste qu'une, que le flux de l'herbe va bientôt absorber. Ainsi donc la prairie engloutit la vache. Dans quel monde souterrain la tient-elle prisonnière ? De quelle disgestion monstrueuse tire-t-elle sa force ? Et quand elle aura ingurgité les troupeaux entiers, à qui s'attaquera-t-elle ? Il faut se méfier de l'herbe qui ploie. 
Travaux des hommes. Modification quotidienne du paysage. À gauche de la parcelle labourée, les andins ont disparu, avalés par l'ensileuse. La ronde des tracteurs-remorques a animé l'après-midi ensoleillé. Aujourd'hui la grisaille est revenue, portée par le vent d'est. Signifiera-t-elle une pause dans l'urgence des fauches, des fauchages, des fauchaisons ? Le férié de la journée s'y prête aussi. Mais quand il y a urgence, quand le matériel est disponible, on ne compte pas les heures, on ne s'arrête pas au symbole des jours. Les chrétiens savent trouver des arrangements avec le calendrier liturgique. 
Invasion du vert. Dans toutes ses nuances. Du plus léger, tout juste éclos du blanc, là haut sur la colline, au plus lourd, affirmant son ombre, dans le fouillis de la haie. Vert dense et dru de la prairie abandonnée de ses prédateurs bovins, qui s'est gorgé des pluies d'avril et se nourrit du soleil de mai en jouant avec lui. Invasion du vert. Toute invasion a sa résistance. Ce rectangle de guéret mangé par les feuilles, discret dans sa différence. Il s'obstine. Il sait qu'il va changer de parure, devoir s'adapter à la ronde du temps. Mais il sait aussi qu'à l'automne prochain c'est lui qui gagnera le combat des couleurs. 
Il existe des parenthèses dans le temps des hommes. Dans le temps privé, celles des escapades, des autres rythmes, des autres paysages, des autres rencontres, des autres lumières. Dans le temps institutionnel, celles que ménagent les transitions de pouvoir. Entre élection et prise de fonction, l'ancienne équipe glisse les dernières peaux de banane, élimine les dossiers et efface les disques durs. La nouvelle se cherche, piaffe et peaufine son image. Au bout de l'attente, il y a un nouveau jour. On a rêvé d'en maîtriser la palette des couleurs. On est maintenant sur le motif. C'est le moment de montrer son métier, son savoir-faire, son talent. On saura bientôt si ce jour annonce de nouvelles lumières. 
Le changement c'est permanent. Ça s'inscrit dans la durée, dans la patience et l'obstination. On subit les ruptures, les agressions des vents, des gelées ou des pluies. On plie les branches, on sacrifie les parures, on anticipe en multipliant les possibilités de reproduire l'espèce. Et on tient bon dans le grand ordonnancement du monde. Quoi qu'il arrive au pays des hommes, quoi que propagent les ondes qui traversent l'espace, on vit son rythme, que les humains calculent en jours pour certaines espèces, en siècles pour d'autres, dans leur fébrilité à mesurer, à comparer, à étalonner. Échelle dont on ignore le sens, dans l'indifférence sereine de la nature. 
Dimanche 6 mai 2012. Dans quelques heures on saura si cette date vient rejoindre dans l'histoire celle du 10 mai 1981.