1 juillet 2012
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Le jour du mitant. Le jour du mi-temps. Le jour de mi-an. 183e, 183 à venir pour boucler l'année. Jour de bascule pour le calendrier. Jour comme les autres dans le cours du temps. La nuit commence tout juste à grignoter la lumière des matins et des soirs. Cet autre reflux, lui aussi commandé par les astres, est encore trop furtif pour que les hommes l'appréhendent. Ce qu'ils attendent, les hommes, c'est l'intensité de la lumière, la victoire du soleil sur les nuages. Ils se soumettent aux éléments, qui feront leur été splendide ou exécrable. Il y a dans leur impatience comme une vacance de la raison.
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Jour unique. Jour de la minute de 61 secondes. La dernière minute de ce jour. Il s'agit, selon les scientifiques, de "permettre au temps universel défini par les horloges atomiques de compenser son avance sur celui rythmé par la rotation de la Terre, bien plus irrégulière." Voilà donc que l'irrégularité freinerait la science, l'obligerait à compenser, à contourner, à s'adapter. Pour d'autres, l'irrégularité est étonnement, découverte et plaisir. Rester dans le cadre, ou sortir du cadre. Poète et scientifique peuvent s'accorder sur la deuxième proposition de l'alternative. Mais à quelle fin ? Sortir du cadre pour adapter le cadre, ou sortir du cadre pour préserver le hors cadre ? 
Il y a un mois et demi, le vert battait la retraite (jour 145). Aujourd'hui il triomphe : les maïs se densifient, les prairies se sont rassasiées de la pluie de juin. Mais ce triomphe présente déjà ses premières failles : dans le lointain, à droite sur la colline, une parcelle a viré vers le jaune. Couleur paille. Les blés mûrissent rapidement. Épargnés par les bourrasques, ils se dressent bien droits et se gavent de lumière. Comme s'ils intégraient dans leurs pigments une prémonition de pain. 
Les nuits du début de l'été sont chargées de sensualité. Les nuits, et les jours aussi. Le motif des amours estivales n'est pas né avec les congés payés ou les chansons des yéyés : 
Les nuits du début de l'été sont chargées de sensualité. Shakespeare en a fait une comédie. Je ne sais quels amours roturières ou ancillaires les arbres de ces haies ont abritées. Mais il convient en ce matin du 27 juin de célébrer un galant et champêtre anniversaire. On est en 1856, loin des prairies des manants vendéens, dans les très aristocratiques fourrés du parc de Saint-Cloud. Elle s'appelle Virginia Elisabetta Luisa Carlotta Antonietta Teresa Maria Oldoini, comtesse de Castiglione. Elle a revêtu, pour la fête, une robe de mousseline transparente. Lui est empereur des Français, sous le nom de Napoléon III. En début de soirée, leur barque s'éloigne sur le lac et aborde une île. Ils ne reparaîtront qu'à trois heures du matin... La belle travaille pour le roi de Piémont-Sardaigne qui veut unifier l'Italie. Les péripéties seront nombreuses jusqu'au reniement de la sulfureuse maîtresse. La France y gagnera néanmoins la Savoie et le Comté de Nice. Les nuits du début de l'été, même si elles sont les plus courtes, sont parfois les plus denses. 
Il est des matins où le paysage se voile, où le chemin devient incertain, se découvrant au dernier moment, se faisant alors piste dégagée ou traquenard. Il est des matins où le phare n'a plus son clair éclat, où l'on s'interroge sur la distance, sa constance. Quand les repères se brouillent, on pourrait rester à l'abri sous les frondaisons sombrement protectrices. Mais on se meut pourtant, on avance à pas comptés, entre inquiétude et curiosité. On écarte les nuées. On poursuit son voyage vers des chimères de lumière. On vit. 
Encore un matin de crachin. Dans les conversations on parle d'automne, on ironise sur les jours qui vont commencer à raccourcir sans qu'on ait connu l'été. Ce qui se crache vient de l'océan. Comme s'il se refusait à laisser la place au soleil. Comme s'il tenait là sa vengeance sur les continents et leurs habitants. On ne le sillonne pas, on ne le fore pas, on ne le souille pas impunément. Il tient entre ses doigts de vent la clé du moral des humains. C'est lui le joueur de flûte. Si un jour il le décide, il peut mener l'humanité à son terme. Le crachin des matins de juin n'est qu'avertissement. 
Il n'y aura pas de feu dans la prairie, ni aux alentours. La Saint-Jean n'est plus fêtée par le bûcher, tout juste si ça et là survivent quelques foires. La musique a pris la place des flammes, lui coupant la braise sous le fagot. Faire un feu, même hors de la Saint-Jean, est devenu suspect. Principe de précaution. Arrêtés préfectoraux. Caméras, radars et biométrie. Principe de précaution. Vivre est devenu suspect. Utopie d'un monde sans danger, d'une société saine. Et d'une humanité pure. Derrière le principe de précaution rôde une ombre brune. Un autre feu qui couve en permanence. 
C'est toujours la même chose avec les oiseaux. Le moindre bruit les effarouche. Ce matin elles étaient deux tourterelles qui picoraient à l'abri de la haie, côté prairie. Elles ne m'ont entendu qu'au dernier moment, mais elles m'ont entendu avant que je les ai vues. Ce que j'ai entendu, enclanchant mon appareil photos, ce fut le froissement de leur envol, le battement de leurs ailes en prenant vitesse et hauteur. Elles ne seront que quelques pixels dans le ciel de la photo du jour. Mais pour moi ce 175e matin restera celui de l'envol des tourterelles. 
Le troupeau est parti avec le printemps. Place à Messidor, ce sont les moissons qui vont maintenant occuper l'esprit. On surveille la progression inéluctable du jaune sur le vert. On surveille le ciel aussi, redoutant le coup de vent d'orage qui fait coucher les tiges et vide les épis. Il faut préparer les machines pour le bon jour, il leur faudra supporter le travail continu, de nuit comme de jour. Les hommes, eux, ils s'adapteront. C'est le degré d'humidité qui servira de pointeuse. Si la concentration de dizaines de travailleurs autour de la machine, du pailler et du grenier fait partie du folklore rural, la solidarité n'en existe pas moins : entre voisins, on organisera le ballet des tracteurs et remorques jusqu'au dépôt de la CAVAC. Les caravaniers et camping-caristes vont grogner : la moisson va plomber leur moyenne. Mais il faut bien que ça se fasse. Il y a, dans l'excitation contagieuse du moment, comme l'affirmation revendiquée de l'expression "le fruit de son labeur", même si certains sourient de sa désuétude.