Le haïku du mois :
Trois gouttes de pluie
et voilà que la prairie
verdit de plaisir.
tantvaletemps
Une photo. Chaque matin, une photo prise au même endroit. Pour témoigner des modifications imperceptibles, inéluctables, du temps qui passe et du temps qu'il fait. Il y aura bien quelques jours ailleurs, voire quelques jours sans. Ainsi va le temps, dans cet espace de liberté qu'il laisse aux hommes, certain qu'il est d'avoir le dernier mot. Quelques mots. Pour dire les humeurs, les colères ou les plaisirs, le rythme des pensées qui ne se contraint pas à suivre le rythme des jours. (extrait de Jour 1)
Ce projet a duré "en temps réel", du 1er janvier au 31 décembre 2012. Les articles de 2013 sont des retours sur les jours ailleurs de 2012.
Le haïku du mois :
Trois gouttes de pluie
et voilà que la prairie
verdit de plaisir.
Ainsi donc le vert et le bleu se sont éclipsés, laissant la prairie libre au gris et au roux. Jusqu'à ce jour l'année aura été celle des transitions douces, sans orages ni tempêtes. Les pluies d'automne s'annoncent, précédées d'un glacis de brumes. Le thermomètre prend son temps. Il se cale au fil des jours sur l'allongement des nuits. Les humains ont différé les modifications de leur garde-robe, mais les hirondelles se rassemblent déjà. On navigue à vue entre nostalgie d'un été pas encore épuisé et espoir d'un automne somptueux.
Il fallait s'y attendre. Dans sa victoire le blanc a perdu son éclat. Ni moutons, ni zébrures. Juste une contagion de gris, un saupoudrage uniforme qui noie le lointain et donne du relief à la masse des arbres. Une vague légère qui a quitté les rivages de l'océan pour jouer avec les collines. Ni déferlement, ni agression. Juste, pendant la nuit, une inversion des vents. Et toujours cette sereine avancée du temps, sans heurts ni impatiences. Ô temps charmant des brumes douces...
Aujourd'hui encore la lumière mange le ciel. Elle engloutit le bleu, le dilue et l'élimine. Rien ne résiste à son avancée matinale. Klein dévoré par Malevitch. À charge de revanche... Même si le vaincu du jour, dans sa victoire à venir, devra modérer son exigeance de monochromie pour composer avec quelques moutons espiègles, quelques roulements ténébreux, voire même quelques zébrures impatientes. Un peu de pigment, un peu de piment, dans la torpeur de ces jours sans surprise.
Dans le lavis de la lumière montante les végétations sont devenues monochromes. Maïs et herbes se confondent dans des teintes similaires, dans un vert essoufflé. Dans leur combat pour retenir l'humidité qui les maintient en vie, ils se sont abandonnés, capitulent lentement devant le sec. Les arbres ont fait un autre choix. Ils se sont assombris, comme en résistance forte pour retenir, pour emprisonner, dans leur refus provisoire de céder au soleil, au temps, à la fatalité. Chacun anticipe l'automne à venir, et invite le promeneur à se préparer au spectacle en gestation.
À la Sainte-Reine, sème tes graines. Ce serait un peu téméraire. Attendre l'averse avant de livrer à la terre. Ce matin c'est la lumière qui est reine. La prairie, bien qu'anémiée par la sécheresse, devient velours. La carte développée sur l'écorce prend du relief, le territoire se distend : le lointain s'éloigne dans la brume et le proche se rapproche dans la précision de ses textures. Un temps à savourer, en images et en mots. À la Sainte-Reine, le poète n'est pas en peine.
Seul, seule sur le fil électrique. Lui, elle, l'autre est parti. Il a osé. Il s'est envolé vers le soleil. Il est allé au bout de ses rêves. Maintenant il glisse sur les nuages, il les agace du bec, il s'en lave les ailes. Pour celui, celle qui reste, c'est le temps des regrets, du regard morose sur le quotidien insignifiant. Le temps des questions aussi : qu'est-ce qui fait qu'au moment du battement d'ailes décisif on s'est retenu. Quelles chaînes a-t-on refusé de briser, quelles angoisses ont vaincu les désirs ? Le temps des inquiétudes. Savoir où est l'autre, de qui il est entouré, quelles douleurs et quels plaisirs le font avancer. Et s'en vouloir de ne pas être là pour les partager.
Tous les deux sur le fil électrique ils font des projets. S'élever haut au-dessus des brumes, dans le sillage des géants de métal. Glisser sur les nuages, les agacer du bec, s'en laver les ailes. Atteindre des contrées de soleil permanent, de pitance assurée. Ou bien d'autres de glaces sans fin, d'aurores boréales merveilleuses. Connaître d'autres peuples, à deux ou quatre pattes, de plumes ou de poils. S'enivrer d'images nouvelles, vivre d'autres quotidiens. Tous les deux. Il suffit de quitter le fil. Alors ils vont s'envoler, survoler la haie. Et se poser sur le sapin proche.
Le 4 septembre. 1797 : Coup d'État du 18 fructidor an V. 1870 : proclamation de la Troisième République en France. 1970 : élection de Salvador Allende à la présidence chilienne.
Début septembre, un élan nouveau. Pour le meilleur ou pour le pire, on verra plus tard. On innove, on tente, on met en action. C'est comme si l'idée de commencer un nouveau cycle, début septembre, avait quelque chose d'inscrit dans la nature des jours et des saisons. Comme si on avait fauché et moissonné les idées anciennes. Comme s'il fallait labourer et ensemencer pour une nouvelle germination, forcément faite d'espoirs, de projets, d'utopie. On est encore un peu dans la brume du matin de ces nouveaux jours, mais ça va forcément s'éclairer, s'épanouir, et rayonner.