Jour de la nèfle. Hier j'ai mangé les premières de mon jardin, les toutes premières d'un néflier dont les premières années furent difficiles : mal orienté, puis transplanté. Il a résisté et cette année enfin a autorisé une récolte. Il y a longtemps (1986), j'ai écrit un texte sur la nèfle. L'occasion de lui donner une seconde vie.
La nèfle est fruit de l’attente. Quand l’automne agonise, elle pend là, au bout d’une branche nue, au détour d’un chemin buissonnier. Vous la croyez à point, mais elle résiste sous vos doigts, plus dure qu’une pierre. Non, il vous faudra encore patienter, jusqu’aux premières gelées blanches. Quand la nature s’engourdit, la nèfle, elle, s’épanouit. Disons-le tout net : elle pourrit. C’est dans cet état, et dans cet état seulement qu’elle est comestible
Mais alors quel régal : déguster une nèfle est un plaisir raffiné. Sachez que sa saveur se mérite : il lui faut le temps du rite. Vous saisissez le fruit entre le pouce et l’index, délicatement, car il se déforme sous la pression de vos doigts, vous incisez sa peau flétrie d’un coup de dents sec et par le petit orifice ainsi pratiqué vous sucez la chair délicate jusqu’à ce que vos lèvres devinent de petits glands tout durs que vous amenez entre langue et palais pour les débarrasser de leur gangue sucrée avant de les recracher.
Parfois une parcelle de chair ambrée se glisse sous votre ongle . Vous le curez longuement entre vos incisives et faites durer le plaisir tout au long de votre promenade. Car la nèfle est la compagne idéale de la marche : discrète, secrète, fraîche sous la rosée. Sa consommation sur toile cirée, ou formica serait sacrilège. Même les guêpes vous le diront.